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Sylvaine Hélary - Spring Roll / Printemps

Olivier Acosta, CitizenJazz *ELU*

Fin 2010, le monde arabe connaît une vague de contestations populaires. Les organisations en place sont décriées. De nouveaux modèles sont prônés. Soufflent de concert les vents de l’espoir et du doute. Cela inspire à Sylvaine Hélary un spectacle où, dans un entremêlement complexe de musiques, de voix et d’images, sont évoqués, de manière fragmentée, la nécessaire révision de l’ordre et l’indispensable passage dans le corridor du changement pour déboucher sur une plus grande liberté.

Le premier volet de ce double album paru chez Ayler Records, Printemps, est une version de ce spectacle réenregistrée en studio. Les voix de Xavier Papaïs et d’Aalam Wassef sont au cœur du propos. Entre récitation et théâtre, présentations scientifiques ou historiques et scènes de vie, ils sont à l’origine de textes a priori disparates mais formant en réalité un tout qu’il appartient à l’auditeur de reconstituer.

Car le fond est volontairement diffus, afin de ménager du champ à notre imaginaire, de nous laisser assimiler ces informations de manière personnelle. On peut y entendre un appel à la vigilance, au soin qu’il faut apporter à la mise en place des systèmes si l’on veut qu’ils soient pérennes. Tout est là. Il bien sûr question ici des pouvoirs en place (et c’est par des mots très forts qu’Aalam Wassef évoque son trouble quand le gouvernement oppose les forces armées au peuple qui l’a élu…), mais aussi du travail d’organisation qui favorise l’apparition de la magie. On parle ici de l’organisation sous toutes ses formes : disposition, placement, priorisation d’actions, de modèles à faire évoluer. "La musique n’est pas l’art de disposer les sons, mais l’art de disposer l’écoute », dit Xavier Papaïs. La fresque musicale, collage de petites séquences, de ponctuations, de couleurs sonores, en est un parfait exemple. Cette musique prépare l’écoute, l’oriente vers les textes. Elle est pleine de poésie, mais presque dénuée de chant. Cela viendra avec le second disque. Pour l’heure la priorité est donnée au message, et ce Printemps apparaît comme une ode à la liberté autant qu’à une mise en garde quant aux choix à faire, aux changements à opérer. Aux responsabilités à prendre. Il est composé, comme on le dirait d’un bouquet.

Le second disque, Spring Roll, n’est pas exempt de voix, mais cette fois, elles apparaissent parcimonieusement et se fondent dans le chant du groupe. Le haïku récité par Yumiko Nakamura fait office de respiration, la voix de Jean Chaize participe au climat musical. Tout se passe comme si ce volet-ci était le reflet du premier, mais déformé par un miroir qui inverse les courbes. La multiplicité des informations laisse place à un discours resserré, la relative abstraction s’efface devant la mélodie. Pour autant, le son du quartet reste le même, clairement identifiable par ses entrelacs de saxophones et de flûtes, ses combinaisons harmoniques de piano et de vibraphone, le foisonnement des percussions de l’inventif Sylvain Lemêtre.

La musique apparaît alors comme un aboutissement, une liberté reconquise. Il y a ici plus d’allant, de légèreté. Le développement patient et touffu de Printemps s’efface derrière le lyrisme du quartet, où chacun dispose d’espaces favorisant l’expression. Les propos s’épousent avec élégance, telles les lignes croisées des instruments à vent qui viennent voleter autour de la magnifique partie de piano d’Antonin Rayon sur « Tout près » ; l’expression soliste peut s’immiscer au plus profond du jeu collectif jusqu’à en devenir le fondement, où s’y opposer pour mieux mettre en lumière la sensibilité de l’individu et la force du groupe. La flûtiste se plaît à naviguer au cœur du son pour s’y fondre ou s’en détacher. Elle confie à Hugues Mayot des plages de jeu étendues, qu’il habite intensément. Si la beauté raffinée de Spring Roll est une délivrance, l’intelligence de Printemps est une nécessité. À magie, magie et demi.