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Sylvaine Hélary - Spring Roll / Printemps

Jean-Jacques Birgé, Mediapart

 

Le double album de Sylvaine Hélary est une petite merveille. Comme on disait que tout est politique, on dira que là tout fait sens. Enfin, pas qu'ici. Partout, mais cette fois on l'entend parce qu'il y a une volonté de le faire savoir. Musique inventive hors des sentiers battus, textes mêlés du blogueur égyptien Aalam Wassef et du philosophe Xavier Papaïs, cohésion du quartet...

Le double album de Sylvaine Hélary est une petite merveille. Printemps d'abord : surtout pas la baudruche florale que Macron suggère de "penser", mais la révolution déterminée que ces musiciens entreprennent. Les premières minutes ressemblent à des rythmes de Conlon Nancarrow avec les timbres de Harry Partch joués par des musiciens de jazz. Et puis survient un texte poétique de Julien Boudart, suivi du blogueur Aalam Wassef au téléphone en direct du Caire après le Printemps arabe et la révolution égyptienne de 2011, mais avant le coup d'état de 2013. Xavier Papaïs prend le relais lors du séminaire Défaire l'Occident à Plainartige avec sa conférence Magie et philosophie. Pendant ce temps sur le disque, mais en réalité l'année suivante en studio, les quatre musiciens échafaudent des expériences musicales originales qui ne ressemblent plus à rien, ou bien à tout. Il y a quelque chose d'encyclopédique, une réflexion sur la musique, sur sa fonction. Comme on disait que tout est politique, on dira que là tout fait sens. Enfin, pas qu'ici. Partout, mais cette fois on l'entend parce qu'il y a une volonté de le faire savoir. Les compositions musicales accompagnent, ponctuent, alors que la pratique précède la théorie. L'objet et son étude, étroitement mêlés, font œuvre. Pas hors d'œuvre, non. Plat de résistance. Tout un programme. À la résistance, concept somme toute négatif, se substituent l'action, l'invention, l'art, la poésie, la musique. Sylvaine Hélary à la flûte privilégie le son d'ensemble qu'élaborent des musiciens aux palettes multicolores comme je les aime, Antonin Rayon au piano et synthétiseur, Hugues Mayot aux saxophones et clarinettes, Sylvain Lemêtre au vibraphone et percussion, auxquels se joint Boudart au synthétiseur MS20. C'est à des gens comme eux qu'il faudrait confier la sonorisation des manifestations ! Proposer autre chose. Changer d'angle. Brusquer les habitudes. Avec une infinie tendresse.

Spring Roll, le second disque de l'album, est presque entièrement instrumental, avec apparitions vocales de Yumiko Nakamura et Jean Chaize. Plus minimaliste, plus lent ou plus calme dans son déroulement. Il faut de la patience pour composer des rouleaux de printemps. Préparer chaque ingrédient séparément ; décortiquer les crevettes, couper finement le porc, râper les carottes, hacher la coriandre, cuire les vermicelles de riz, laver la salade et la menthe, préparer les germes de soja, et puis mouiller les galettes de riz juste avant de les rouler. Je coupe le nước mắm avec autant d'eau, je presse un ou deux citrons, j'ajoute beaucoup de sucre, parfois de l'ail et les carottes. Qu'est-ce que je raconte ! Le Spring Roll d'Hélary n'est qu'une friandise pour les oreilles, et si la flûtiste passait en cuisine elle glisserait très probablement quelque ingrédient inédit, une succulente surprise. Comme ces fugitives apparitions des poèmes de Bashô, Shakespeare et Robert Walser dans leurs langues originales. Un silence. Quelques notes. La liberté de jouer ensemble. Chacun son tour comme ces plateaux tournants où l'on se passe les plats chinois dans la plus exquise convivialité...