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Lila Bazooka - Arashiyama

Franpi Barriaux, CitizenJazz *ELU*

 

Le basson de Sophie Bernado a été le vent qui embrase les arbres, la brise fraîche de la nuit, pourquoi ne serait-il pas celle de la montagne, de la tempête ? A l’écoute de « Hyoshi Taisha », long morceau inspirant qui relate un voyage au Japon, on s’en persuade : le basson est décidément un instrument puissamment évocateur, et la jeune musicienne sait en tirer toute la poésie, l’emmener même au-delà, dans un improbable labyrinthe construit par l’électronique. Arashiyama, la montagne de la tempête, est l’un des points névralgiques du Kyoto millénaire, haut lieu touristique pour l’Hanami, la contemplation des cerisiers en fleurs, et pour la magnifique bambouseraie alentour. C’est aussi le lieu où, non loin, avec l’ingénieure du son Céline Grangey, Lila Bazooka a trouvé résidence pendant quelques semaines avant que le COVID ne ferme tout. Ce qu’il reste d’Arashiyama, c’est le goût du voyage. Et, plus savoureux encore, celui de son souvenir.

C’est d’ailleurs à un diptyque que nous convient les deux artistes. On aurait pu songer que le présent album paru chez Ayler Records était un solo ; Sophie Bernado psalmodie sur « Kome to me » dans une ambiance qui fera songer de loin en loin à Laurie Anderson. Elle rappelle plus loin sur « Altaï » que son instrument sait prendre des tours plus virulents. Mais Lila Bazooka n’est pas un double de la bassoniste : c’est un personnage fictif et composite que Céline Grangey occupe tout autant. Dans la complexité des échos comme dans la recherche pointilleuse des boucles, on lui doit tout autant le merveilleux du voyage auquel nous sommes conviés. Les artefacts électroniques qui érodent le son du basson dans le très pur « Arashiyama » n’en sont qu’un moindre exemple : avec le magnifique « Perpetuum », c’est tout un paysage que l’électronique dessine, et dans lequel Sophie Bernado s’installe à merveille, comme un vêtement sur mesure. Entre créations d’un design sonore et captation de sons en field-recording (sons de rue, du métro de Tokyo et d’ailleurs comme dans « Thanks to The Hill »), c’est au cœur du ressenti que nous pénétrons, bien guidés en cela par la voix de la bassoniste, qui double parfois son instrument, transformant Arashiyama en délicieux palais des glaces.

Ce n’est pas la première fois que Céline Grangey est partie prenante d’un projet, qu’elle apporte sa patte experte : on a assisté à semblable intervention dans un récent solo d’Alexandra Grimal. Mais jamais, sans doute, elle n’avait été si intégrée au récit, n’en avait été une puissante narratrice et pas seulement une talentueuse accessoiriste. Ce premier disque de Lila Bazooka nous transporte littéralement, presque sans nous saisir : tout est immatériel et impermanent. On se souvient qu’un autre duo, Rhizottome, avait fait le même voyage et rencontré, eux aussi, le joueur de Shô Ko Ishikawa que Lila Bazooka invite sur deux titres ; il est intéressant de voir que Kyoto et le Japon sont toujours de puissantes machines à rêves universels. « Je veux réunir mes amis du monde entier et jouer pour donner de la joie à tous les humains », dit une des personnes rencontrées par Lila Bazooka pendant leur voyage au Japon. Arashiyama remplit pleinement ce vœu poétique.