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Joëlle Léandre & Pascal Contet - 3

Olivier Acosta, Mozaïc Jazz

Je me souviens de deux émotions, concernant la musique de Joëlle Léandre et sa vision unique du duo – et de l’improvisation.

Deux émotions pour deux disques, que je découvrais alors que mes appétences avec la musique libre étaient encore un peu vertes. Il y a ce beau moment partagé avec Steve Lacy (One More Time), ainsi que Contrabasses, un duo de contrebasses avec l’incroyable William Parker.

Dans ces deux disques, une constante : cet art délicat de l’échange, marqué par un refus, de part et d’autre, de toute forme de facilité consensuelle. Ceux là sont mes jalons personnels, mais il y en a eu tant, avec George Lewis, Carlos Zingaro, Jean-Luc Capozzo, Lauren Newton, Serge Teyssot-Gay, Derek Bailey, Barre Phillips… J’arrête là, tout le monde sait déjà, ou aura compris, que le duo est une forme de rencontre que la dame privilégie.

Ces duos d’improvisateurs ne valent que parce que les musiciens en question savent dialoguer avec leur propre vocabulaire, donner la réplique à un univers par le leur, chercher des solutions, des chemins, permettant de faire cohabiter deux démarches artistiques toutes entières. On ne parlera donc pas de capacité d’adaptation, mais plutôt de générosité dans le don, et l’acceptation, d’un monde musical qui se suffit à lui même. Si l’on parle de Lacy et Parker, leurs albums solo respectifs montrent à quel point ils peuvent rester seuls. Il en va de même pour la contrebassiste. Passionnante en solo, elle n’a de cesse de multiplier les rencontres, pour se nourrir et nourrir les autres, pour permettre à sa musique de bénéficier de la richesse de nouveaux horizons, en leur rendant la pareille.

Nouvelles escales dons son parcours, il y a deux duos, tout frais, dont il sera ici question. Deux disques qui donnent une photographie, non exhaustive bien sûr, de l’art de la contrebassiste aujourd’hui. Le premier est un duo avec le saxophoniste baryton Daunik Lazro. Le second, intitulé 3, est le troisième disque enregistré avec l’accordéoniste Pascal Contet, jolie preuve que l’instantané peut s’inscrire dans une démarche au long cours pourvu que l’on continue de considérer l’expression musicale comme un mode de communication qui ne doit pas rester figé.

Hasparren est le nom de la ville, au pays Basque, où a été capté le concert qui donne lieu au disque éponyme. Les titres, eux, s’appellent Hasparren I, Hasparren II… Car c’était là, à ce moment, en ce lieu. Joëlle Léandre et Daunik Lazro se connaissent bien. Mais il y a en plus une chose qui les rapproche, c’est leur rapport à la matière sonore, développée dans une sorte d’immobilisme poétique. Le très beau disque solo du saxophoniste Some Other Zongs, m’avait séduit par sa verticalité, ce travail sur la vibration. Je retrouve dans Hasparren cette propension à voyager à petits pas, en laissant les notes prendre leurs aises là où les musiciens cherchent parfois à leur délimiter un espace confiné. La musique du duo respire, se construit à deux voix, qui se joignent souvent dans une tessiture jumelle, où se séparent lorsque le baryton s’envole dans des suraigus presque détimbrés tandis que la contrebasse résonne à travers un travail sur ses sons périphériques, frottements, percussions et bruits bruts de glissandos, ce qui n’a rien à voir avec de quelconques effets de manches. Une proposition musicale aux confins de l’imprévu, avec ses instants apaisés et ses violences contenues.

Autre rencontre, autre esprit. Nous voici de nouveau auprès de Joëlle Léandre. Mais à ses côtés cette fois, Pascal Contet. La musique a ici une autre dynamique, une projection différente puisque l’accordéoniste développe un jeu dense qui occupe l’espace là où le saxophone de Lazro s’échine souvent à le sculpter. Outre les parties bruitistes qui permettent de délimiter une zone et d’engager ou relancer une conversation, la matière sonore apportée est dense et une attention particulière est portée aux climats, orageux, déstabilisants, inquiétants ou émouvants. Ou tout cela à la fois. La contrebasse se fond dans ces tissus harmoniques et y brode des lignes aux trajectoires imprévisibles en alternant le pizzicato et l’archet, avec un rapport à la mélodie, partagé par Contet, qui les amène à la disséminé plutôt qu’à la mettre en avant. Si le jeu sur les textures et les atmosphères est immédiatement palpable, le chant, lui, ne s’offrira qu’en contrepartie d’une écoute exigeante. Les interventions vocales de Joëlle Léandre apportent çà et là un surcroît d’intensité dramatique à cet enregistrement sombre et poétique.