François Cotinaud - Klangfarben Ensemble

Bob Hatteau, ImproJazz

En 2010, François Cotinaud forme le Klangfarben Ensemble, littéralement « l’ensemble des couleurs de sons », un groupe composé de neuf musiciens, d’une comédienne et de deux danseurs, dirigé par soundpainting. Les variations sur une collection de timbres (en référence au mot Klangfarben) sont créés en 2011, suivi du Monologue de Schönberg en 2012 et de Fleeting Patterns / Figures éphémères en 2013. Le label Musivi et Ayler Records sortent les deux premières créations du Klangfarben  Ensemble en octobre accompagnées de trois morceaux complémentaires et d’un documentaire d’une demi-heure, signé Patrick Morel.

Sur le disque, il y a deux types d’œuvres : « Le monologue de Schonberg » et « Temps compté (temps perdu) » mêlent textes et musique, tandis que les «Variations sur une collection de timbres » est instrumental.

Dans « Le Monologue de Schönberg », Cotinaud « rend hommage à Arnold Schönberg, qui écrivit vers 1910 ses premières pièces de mélodies de timbres (Klangfarbenmelodie), puis à John Cage, qui ouvre vers 1950-1960 les champs du silence, du bruit, de l’aléatoire et du sens dans la musique. Comment Schönberg pouvait-il penser son époque, comment aurait-il considéré le point de vue de Cage, et comment aujourd’hui regarderait-il les performances de l’ensemble Klangfarben et ses « Variations sur une collection de timbres » ? Trois dates : 1910, 1960, 2010 ; trois points de vue ». « Temps compté (temps perdu) » est une sorte de poème en prose qui décrit le temps qui passe à travers les pensées d’une personne qui liste ce qu’elle « voudrait » devoir faire et ce qu’elle doit faire. La comédienne Françoise Purnode met ces textes en relief avec beaucoup d’esprit. Ecrits dans un style plutôt familier, les textes sont vivants et servent aussi de matériau aux musiciens. Les deux prises du « Monologue 1960 »  montrent d’ailleurs clairement la liberté laissée aux interprètes. Ni slam, ni rap, ni spoken word, l’exercice s’apparente davantage à la radiodiffusion d’une pièce de théâtre, d’une poésie ou d’un conte. Il y a de fortes chances qu’un auditeur peu accoutumé à cet univers soit dérouté par le disque, mais le film de Morel permet justement de décoder ce « spectacle auditif ».

Avec les « Variations sur une collection de timbres », nous revenons en territoire connu. Les cinq variations sont joyeuses, enlevées et font penser à une fanfare contemporaine. La musique swingue et rebondit gaiement de questions – réponses en homophonies, de bric-à-brac de notes en chorus bluesy… Expressives à souhait, les « Variations sur une collection de timbres » sont un véritable jour de fête. Jubilatoire !

Un mot à propos du soundpainting. Elève d’Anthony Braxton après être passé par le Berklee College of Music, Walter Thompson pose les bases du soundpainting en 1974, avec un orchestre d’étudiants de la Creative Music School de Woodstock. Le principe du soundpainting est de diriger un orchestre qui improvise, à partir d’un langage de signes. Dans les années quatre-vingts, Thompson peaufine son langage avec le Walter Thompson Orchestra et, dans les années quatre-vingts dix, il ouvre le soundpainting à la danse, au théâtre, à la poésie, aux arts visuels… les mille deux cent et quelques gestes du soundpainting indiquent qui doit faire quoi, comment et quand. En 1968, Thompson est invité par David Liebman et Ed Sareth au congrès annuel de l’International Association of Schools of Jazz en Espagne, puis par François Jeanneau au CNSMDP… C’est le début de la diffusion du Soundpainting en Europe.

Le film de Morel donne du sens au « Monologue de Schönberg » et au « Temps compté », et illustre la technique de soundpainting. Voir Cotinaud diriger l’orchestre avec autant de précision  en utilisant le soundpainting est impressionnant et convaincant. Comme il l’explique, l’improvisation est possible jusqu'à cinq musiciens, mais, au-delà, cela devient périlleux et le soundpainting est une aide salutaire. Les images montrent avec brio les interactions entre les musiciens, les danseurs, les comédiens et le soundpainting. Tout le monde joue : les musiciens sur leurs instruments, la comédienne avec le texte, les danseurs sur la table avec le vibraphone (pour une partie de ping-pong) ou autour des musiciens… Quant aux interventions de Cotinaud, de la violoncelliste Deborah Walker et du trompettiste Andrew Crocker, ils apportent un éclairage intéressant sur la démarche musicale du Klangfarben Ensemble. « Le Monologue de Schönberg » se découpe en trois parties : les débuts et la rivalité avec Claude Debussy, le renouveau avec Cage (« De Cage il ne reste que le silence » se dit Schönberg à lui-même…) et le présent, avec les spectacles pluridisciplinaires. Si la première partie se concentre davantage sur le texte et que la troisième partie est un mariage entre danse et texte, la partie consacrée à Cage tourne au délire car, comme l’explique Cotinaud, en huit minutes, les douze artistes doivent faire douze actions, pour représenter les douze tons que Schönberg a fait voler en éclat…

Le coffret du Monologue de Schönberg et Variations sur une collection de timbres confirme que les spectacles du Klangfarben Ensemble doivent être vus pour que toutes les richesses de la pluridisciplinarité puissent s’apprécier à leurs justes valeurs, mais que les pièces instrumentales se suffisent à elles-mêmes et sont enthousiasmantes.