All sorts of jazz, free jazz and improv. Never for money, always for love.
Une fois encore, l’ami Stéphane Berland nous gâte. Il ne m’en voudra pas, je l’espère, d’avoir attendu près de deux mois pour évoquer cet obscur objet du Derviche servi par un duo pratiquant l’embrasement avec méthode et détermination. Car la référence numéro 165 de son label Ayler Records est rien moins qu’un incendie rock, dont les deux pyromanes ont pour nom Éric Brochard (basse piccolo, voix) et Fabrice Favriou (batterie). De ces deux musiciens, je ne connaissais rien mais leur album aux couleurs sombres m’a toutefois fourni quelques indications quant à leur volonté d’inscrire la musique qui les obsède dans l’état d’urgence d’un monde en prise avec ses démons. Les nôtres, le leur. C’est sans doute la raison pour laquelle on se trouve vite happé dans une étrange résonance avec notre propre incertitude (mais aussi nos angoisses) dès lors que les motifs dessinés par la basse piccolo (qui est, je le précise, une basse électrique réglée une octave plus élevée que l'accordage conventionnel) viennent enfoncer un coin abrasif dans le silence inquiet de nos émotions. Soudain, plus rien ne bouge autour de nous, à l’exception de cette drôle de machine qui semble avancer sur nous en décrivant d’implacables cercles concentriques. Curieusement, on se laisse faire…
Parce qu’on n’écoute pas Derviche, on le prend comme un coup de poing à l’estomac qui vous coupe le souffle, mais sans violence superflue. On ne l'explique pas non plus. C’est un choc électrique, d’une vraie beauté et d’une élégance formelle indéniable. Le son est brut, rauque et puissant mais toujours majestueux. N’attendez toutefois aucune fioriture, ni même aucune instrumentation décorative, histoire de faire joli ou mélodique. Ici ce sont des riffs répétés à l’envie, portés par une pulsion lourde, dans un processus d’élévation vers une forme d’ivresse des cimes (ou des profondeurs ?). On pourrait parfois croiser cet univers métallique avec celui, tout aussi âpre, qu’a su construire Richard Pinhas, musicien de la « dévolution ». Les titres eux-mêmes, nommés « Séquences » et numérotés de 1 à 5, ne veulent exprimer rien d’autre que la nécessité de creuser plus profond un sillon hypnotique, sans détour par une explication dont nul n’a besoin. Peut-être faut-il considérer ce disque comme une expérience, une sorte de happening sonore dont on ressort un peu hagard mais habité par l’idée qu’il reste ici-bas quelques indispensables lanceurs d’alerte. Éric Brochard et Fabrice Favriou sont sans doute de ceux-là, qui résistent à la tentation du dos courbé.
Ce voyage-là, même s’il a des airs d’inconnu parfois, mérite bien qu’on prépare quelques affaires dans un sac et qu’on suive sa route, aussi brûlante soit-elle. On part faire un tour, ou deux, ou trois... ou plus encore !
Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer Jean Rochard, le patron de la maison des disques nato, qui à n’en pas douter dit toutes ces choses-là beaucoup mieux que je ne saurais le faire : « L’œil regardait encore si l’on pouvait danser en tournant, tournant, tournant à en perdre le contrôle partial pour retrouver nos sens. Enfin. Et l’on ne pourrait trouver les mots justes tant le sentiment est urgent. Éric Brochard et Fabrice Favriou (respectivement basse piccolo, voix et batterie), eux trouvent la musique juste. Ils viennent de publier, sur l’excellente étiquette Ayler Records, l’entêtant Derviche, parfaitement synchrone avec nos urgences d’époque. L’œil écoute : If you want to be experienced? »
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