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Daunik Lazro - Some Other Zongs

Stéphane Ollivier, Jazz Magazine

Alors que l'industrie du disque agonise et que le formatage médiatique relègue ce qu'elle ne sait assimiler à la marge des marges, il y a probablement quelque paradoxe à voir fleurir ainsi sur le marché français des labels entièrement consacrés à la musique improvisée, multipliant les références d'artistes aussi exigeants qu'ultra-confidentiels. Dans le sillage de glorieux aînés comme In Situ et Potlatch et à l'instar d'Ayler Records ou Improvising Beings, c'est au tour de Dark Tree de se lancer dans cette guérilla militante en publiant avec "Pourtant les cimes des arbres" du trio Daunik Lazro, Benjamin Duboc et Didier Lasserre, un premier disque absolument extraordinaire d'intensité langagière et émotionnelle. Figure phare de l'improvisation libre européenne depuis le tournant des années 70, Lazro n'a jamais transigé sur son désir de liberté ni dévié de sa ligne esthétique privilégiant la spontanéité du chant. Saxophoniste rugueux puissamment marqué par l'expérience afro-américaine et son expression lyrique la plus radicale (Albert Ayler demeure la pierre de touche de sa poétique), il engage ici une intense conversation avec Duboc et Lasserre, musiciens emblématiques de cette génération qui dans les années 90 sut prendre la relève des grands pionniers pour ouvrir de nouvelles voies dans une exploration très poussées des timbres. Jeux de tessitures, variations d'humeurs, rythmes et flux pulsionnels se conjuguent en un hymne joyeux et douloureux au temps qui passe. C’est ce même sens du tragique que l’on retrouve  dans la sombre et austère beauté des chants solitaires composant le recueil « Some Other Zongs ». Dix ans après son premier solo « Zong Book », le saxophoniste y ressuscite ses fantômes, déclinant avec une grande variété de techniques de jeu les différentes dimensions de son univers musical. Ces formes brèves, concentrées, allusives, éruptives et comme creusées de silence, ont la fulgurance éphémère de morceaux de nuit soudain exposés à la lumière. Tout aussi introspectif mais moins résolument lyrique, comme engagé dans une sorte d’exploration intime de la chair vibrante et anonyme du son, au-delà de toute forme d’expression individuelle trop « pensée » voire même « sentie », l’univers du contrebassiste Benjamin Duboc trouve avec « Primare Cantus » un triptyque phonographique à sa démesure. En petite(s) formation(s) avec Sylvain Guérineau et Jean-Luc Petit (saxes), Didier Lasserre (perc), Sophie Agnel (p), Pascal Battus (g) et Christian Pruvost (tp), ou seul notamment dans la pièce longue d’une quarantaine de minutes qui donne son titre au recueil et occupe l’espace de tout un disque, Duboc y déploie tout son savoir-faire instrumental et décline tous les registres de sa poétique, passant d’atmosphère bruitistes (micro-variations et glissements successifs aux confins du silence) à des climats volontiers expressionnistes dans un registre plus classiquement orchestral. Quelle que soit sa source, cette musique, conjuguant une grande force idiomatique à une extrême fragilité, possède un vrai pouvoir de fascination).