Grimal & di Domenico - Chergui

Olivier Acosta, Mozaïc Jazz

Alexandra Grimal et Giovanni Di Domenico donnent une suite au magnifique Ghibli paru en 2011 sur le label Sans bruit. Le premier disque présentait le duo dans un format assez serré, un peu plus d’une demi-heure de poésie suspendue.

Le label Ayler Records prend le relais et propose un double album enregistré au théâtre du Châtelet, collection de solos et duos intimistes et énigmatiques dont le pianiste est le principal compositeur. L’occasion de compléter la série des « Koans », ces courtes séquences qui, dans l’enseignement Bouddhique, prennent la forme d’apories, c’est à dire de contradictions insolubles nécessitant de délaisser les modes de résolution intellectuels pour privilégier d’autres formes de connaissances intuitives, intérieures. Prenons les comme des invitations au lâcher prise, à l’intégration par le ressenti de cette musique plus qu’à son analyse. Honnêtement on ne s’en porte pas plus mal, car elle est aussi belle que sophistiquée, bien que drapée d’une fausse simplicité. La part-belle est laissée au silence, à l’espace préservé, propice au vagabondage de l’imaginaire. Là réside la force de ces pièces. Elles ne sont cérébrales que pour ceux qui les jouent, et je préfère m’y égarer que chercher à en restituer une image détaillée.

Saxophone et piano sculptent le silence, s’y immiscent discrètement où fragilisent sa quiétude. Ca et là l’intensité s’accroît, comme sur « Bi Fluoré » ou « Harmattan », mais la musique est majoritairement caractérisée par un lyrisme voilé, une poésie de l’étrange. L’ivresse vient des possibilités qu’autorise la perception de l’espace. Ecouter Alexandra Grimal jouer sa charmeuse de serpent durant près d’un quart d’heure sur « Diotime et les lions » est un voyage en soi. Se perdre dans les méandres de son propos sur la pièce d’ouverture, « Prāṇa », est un délicieux abandon.  Ses notes semblent se disperser, n’écoutant que leur soif d’évasion. Il y a là un des aspects qui permet aux deux musiciens de se trouver et s’épouser dans cette grande masse silencieuse où ils se déplacent sur la pointe des pieds : c’est cette façon d’égrainer les notes, de les libérer plus que les jouer. « Let Sounds Be Themselves », clame un titre interprété en solo par le pianiste. Oui, les sons ont l’air d’en faire à leur guise, dans une chorégraphie stellaire.  C’est en ne sacrifiant rien de leurs exigences respectives que tous deux parviennent à donner de la cohérence à leurs échanges. Leur conversation est marquée par un refus de toute facilité, car en musique le jeu facile est vite encombrant. Tout est interprété avec d’infinies précautions. Et puis il y a ce risque prit de ne pas emprunter les directions attendues, de laisser les phrases se répandre comme si un vent léger s’accaparait leur trajectoire...  Je perçois à travers cette musique aride les impressions diffuses que procure la contemplation d’un paysage désolé et magnifique, ce sentiment un peu contradictoire d’être tout à la fois fragile et invincible.