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Abdelhaï Bennani Trio - There Starts the Future

Julien Gros-Burdet, CitizenJazz

Ayler Records, label passionnant s’il en est, confirme avec There Starts the Future, album signé par le trio d’Abdelhaï Bennani, son goût pour les disques aventureux.

Avec la production soignée qui le caractérise, ce label suédois propose quelques-uns des enregistrements les plus réussis de ces dernières années en matière de musiques improvisées et de free jazz : l’éclosion d’Exploding Customer, c’est grâce à Ayler ; les magnifiques albums de Henry Grimes, Jemeel Moondoc, Anders Gahnold, Steve Swell, Stephen Gauci, Charles Gayle, The Fish, c’est toujours chez Ayler. En parallèle, le label de Jan Ström réfléchit beaucoup sur la meilleure manière de proposer aux auditeurs une musique exigeante mais passionnante, notamment en utilisant toutes les possibilités offertes par les technologies contemporaines. Ayler Records propose ainsi une partie de son catalogue en téléchargement ; certains enregistrements ne sont d’ailleurs disponibles que sous cette forme. Autre innovation : la création des « Digital Boxes » : un ensemble d’enregistrements signés par tel ou tel artiste passionnant, disponible en téléchargement seul avec livret et pochette téléchargeables aussi, ce qui leur offre une visibilité accrue.

Pour cette nouvelle livraison, le saxophoniste marocain Abdelhaï Bennani est ici associé à Benjamin Duboc et Edward Perraud. Enregistré aux Instants Chavirés (Montreuil) en juin 2007, There Starts the Future propose une musique très particulière : l’atmosphère y est presque suffocante. Bennani navigue entre feulements et hurlements, déchirements et rage. Les structures harmoniques et rythmiques s’effacent pour laisser place à une musique de l’instant, secouée de soubresauts comme au commencement d’un monde. Cette musique tellurique dégage à la fois une énergie folle et une sensualité surprenante. Tout au long de ces deux plages, les lignes de saxophone et de contrebasse s’entremêlent au point qu’on ne s’y retrouve pas toujours. Duboc est probablement au sommet : sa maîtrise de l’instrument, sa capacité à être là où on ne l’attend pas, à toujours devancer les attentes, en font un partenaire parfait pour Bennani. Pour reprendre une expression de Joëlle Léandre, il est dans « un continuum de tempo, d’énergie ». De son côté, la batterie de Perraud semble être une source d’inspiration sans fin, multipliant les pistes ou relançant ses compagnons, soulignant les phrases qui giclent du saxophone. On découvre, ébahi, un magma sonore en fusion qui donne naissance, de façon quasi mystique, à une œuvre splendide.

“In the Beginning Was the Night”, titre du premier morceau, colle bien au trio : on est ici confronté à une musique nocturne, où les formes et les couleurs sont mélangées, où se confondent rythme, jaillissements mélodiques, jeu sur le son. Le pizzicato, l’archet ou les cordes frappées de la contrebasse, la variété des frappes de Perraud, son utilisation des cymbales participent d’une construction quasi cosmique. Petit à petit, l’oreille trouve son chemin dans ce paysage obscur, discerne les reliefs, se repère dans cet espace-temps-son inédit. Le second morceau, “I Had a Dream”, est le prolongement du paysage esquissé jusque-là. Le monde sonore du trio est installé, va en se structurant. La musique en marche semble tendue vers la réalisation de ce rêve, qui pourrait bien être celui d’un univers où le son précéderait la musique et déboucherait sur une création crépusculaire mais lumineuse, où il est vivement conseillé de plonger.