Fields/Lependorf - Everything is in the instructions

Franpi Barriaux, CitizenJazz

Depuis plusieurs années, à intervalles réguliers, les sorties du label Ayler Records s’apparentent à un cabinet de curiosités qui offre à des têtes chercheuses, des musiciens atypiques ou transgenre la possibilité de se rencontrer et d’échafauder un dialogue en toute liberté, voire de creuser de nouvelles pistes. Avec Everything Is In The Instructions, ce sont le guitariste Scott Fields et le compositeur de musique contemporaine Jeffrey Lependorf qui empruntent ensemble un chemin de traverse ; spécialiste des flûtes de bambou asiatique, et plus particulièrement de la vénérable shakuhachi, c’est en instrumentiste célébré dans le monde entier, et même dans l’Espace (sa flûte a été jouée à bord de la station Mir, rien de moins) qu’intervient ici Lependorf. Le titre de l’album, lui, vient d’une anecdote qui a valu à Lependorf les reproches de John Cage : comme il lui demandait de clarifier les instructions qu’il avait données pour son Theatre Piece, le maître lui répondit sèchement que tout s’y trouvait déjà— puis lui reprocha, après une représentation triomphale, d’avoir tout fait de travers.

C’est dans cette mitoyenneté fugace entre la méthode et l’intuition que se déroule l’échange entre les deux musiciens. La flûte en bambou module de lentes variations monochromes que la guitare acoustique éraille avec soin. Fields est coutumier de ces conciliabules minutieux avec d’autres instruments, que ce soit le théorbe de Stephan Rath (What We Talk, 2010) ou les anches de Mathias Schubert (Minaret Minuets, 2011). Si l’on peut parfois rester perplexe sur la mécanique parfois répétitive de ses morceaux («Terror Babies»), ceux signés par Lependorf, notamment le pénétrant «The Politics of Solitude», sont de remarquables numéros d’équilibriste. Véritable architecte, il joue, sans jamais tomber dans l’ornière de l’orientalisme New Age, avec la riche histoire de son instrument et il aménage avec clarté les espaces qui, entre les deux instruments, donnent du relief au silence.

Ces deux musiciens habitués de l’urgence trouvent dans la pondération une autre manière de tanguer sur le fil ténu de l’improvisation («Objects in Relation To Other Objects»). En toute fin d’album, le duo se lance dans une reprise aux allures célestes du «Naima» de Coltrane. La flûte s’empare de sa dimension mystique, dont les douces chimères s’évaporent à mesure que les notes s’égrènent. La spiritualité de l’original trouve, dans cet échange organique entre souffle et cordes, un biotope idéal. A lui seul ce morceau donne envie d’assouvir une douce curiosité. Qui est, en musique comme ailleurs, le plus charmant des défauts. Ou la plus piquante des qualités— Everything Is In The Instructions!