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Killing Spree

Nicolas Dourlhès, CitizenJazz *ELU*

Entendu en 2010 chez Louis Sclavis Lost On The Way puis dans l’ONJ Daniel Yvinec, le saxophoniste Matthieu Metzger a également marqué les esprits en quête d’aventure dans différents contextes plus radicaux. Son solo Self Cooking (Elu Citizen Jazz), par exemple, faisait la part belle au collage, à l’altération des sons et au bruitisme, et la série des Tower de Ducret n’aurait pas eu cette couleur sèche et puissante sans sa participation à la prise de son. Plus anecdotique, quoique révélateur, le mémoire de DEA qu’il a présenté en 2003 propose une analyse fouillée du groupe de metal suédois Meshuggah. Dans cette succession de travaux variés se tenait donc en germe le groupe avec lequel il se présente aujourd’hui, et dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est dévastateur.

Le soin porté aux pochettes du label Ayler Records donne souvent une indication sur leur contenu. Si celle-ci évoque les groupes de John Zorn années 90, ce n’est certainement pas par hasard. Que ce soit certains Naked City ou plus particulièrement Painkiller (John Zorn, Bill Laswell et le batteur de Napalm Death Mick Harris), dès la première écoute un lien de parenté apparaît. Prêt à verser dans le jazz le plus free comme dans le rock extrême, constamment sur la brèche, Killing Spree plaît par sa violence et sa force de frappe peu commune.

Ils ne sont que trois, et l’apport de chacun ne se fait que dans l’excès. La basse électrique de Sylvain Daniel (ONJ) n’entend pas se satisfaire de la discrète fonction pulsatile qui lui est généralement attribuée. Bien au contraire, lourde, la plupart du temps saturée, elle se positionne sur le devant et martèle des rythmiques tribales. S’appuyant sur elle, les saxophones de Metzger lacèrent l’espace comme des coups de fouets. Une fois les riffs en place, les méandres mélodiques posés, ils dévalent à grands cris des gammes noires et agressives. La charnière esthétique vient cependant de la batterie, qui s’ouvre à des horizons proches du grindcore. Par des effets de doubles pédales ou des blasts (toutes techniques venues de l’univers du metal et que maîtrise parfaitement Grégoire Galichet), elle repousse les murs de la perception vers une sensation de chaos pourtant très organisé.

Car contrairement à la musique de Zorn, ici la forme est maîtrisée et les morceaux progressent de façon nuancée mais inexorable vers des ambiances obscures et inquiétantes. Ainsi quand la voix de Metzger, torturée et malaxée par les machines, apporte de la chair à l’ensemble, elle nous plonge immédiatement dans un rituel maléfique que les headbangers ne renieront pas.

La spontanéité de ce live maintient la fraîcheur nécessaire à ce trio et justifie la folie dans laquelle il nous entraîne. Compact, ne dépassant pas les trente-sept minutes, le disque laisse l’auditeur hors d’haleine, ayant tout juste l’énergie, la force d’appuyer une nouvelle fois sur la touche « Lecture. »

On songe à l'écoute à un album en droite ligne de groupes français qui aime hybrider leur connaissance du jazz avec cette explosion de puissance : Cartel Carnage avec Sylvain Cathala, Hippie Diktat et le label BeCoq, Kouma... Mais surtout ce que le label montpellierain Rude Awakening a pu produire avec Les Yeux de la Tête (devenu depuis Mosca Violenta par peur que des balladins en chaussons fan de Tryo fassent des méprises multipes avec un groupe de chanson française pénible), certainement le groupe le plus proche de Killing Spree.

Ce qui est flagrant, c'est que le trio s'amuse. Ce massacre, il se joue au pistolet à bouchons avec le rire franc de gamins malicieux. Comme avec Selfcooking, Metzger bidouille avec génie ses talkbox et ses pédales pour construire un univers qui ressemble à sa musique.

Y compris celle qu'il fait avec Rhizottome et qui parait pourtant si différent : une musique libre, frondeuse, polymorphe. Un bon bol d'air, indubitablement. Même s'il pique un peu au fond de la gorge. La chaleur, sans doute.