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Didier Lasserre - Silence was pleased

Franpi Barriaux, Sun Ship

 

C'est amusant de songer que quelques semaines après avoir évoqué le dernier disque de Benjamin Duboc dans ces pages, il soit désormais question de Didier Lasserre. Pour une raison simple : les deux musiciens improvisateurs ont souvent eu parti lié dans leur choix artistiques, et ce sont deux artistes qui se ressemblent, rigoureux, discrets et d'un rafinnement rare.
C'est d'autant plus intéressant que Duboc comme Didier Lasserre proposent dans leur nouvelle création une oeuvre écrite, sophistiquée et intransigeante qui questionne la musique contemporaine avant tout.
Là où le contrebassiste interrogeait le mouvement, le percussionniste s'intéresse à la perception et aux lames de fond ; j'ai le souvenir d'un solo de Lasserre où il égrainait des ailettes de pomme de pin sur une caisse claire avant de faire tonner ses baguettes. Ici, c'est le piano de Christine Wodrascka, une musicienne qui s'est toujours tenue aux confins de la musique contemporaine et classique, qui fait tonner les basses après un échange éthéré entre la trompette de Jean-Luc Cappozzo et le silence. On est captivé, immédiatement.
Le disque sorti chez Ayler Records, qui renoue depuis quelques disques avec cette approche très contemporaine et avec cette couleur qui ont fait sa légende, se place dans la pénombre. Non qu'il se rend invisible, mais c'est le climat qui sied à merveille à la musique de Lasserre. La nuit tombée, la lumière diffuse qui se meure, le crépuscule ou tout est possible dans le violoncelle de Gaël Mevel... Tout concourt à exacerber des sentiments liés à la solitude, à une intranquillité qui fait naître toutes les poésies.
C'est d'ailleurs les noms choisis pour les mouvements qui nous oriente – en nous désorientant parfois, magie des sentiments contradictoires –, de "Light", la lumière, à "Night", la nuit où la journée se déroule dans un silence brumeux où chaque son est la construction d'un récit. Puis la magie intervient, dans la voix de l'alto Laurent Cerciat qui dit les mots du poète anglais John Milton. Le chemin qui empruntait déjà beaucoup, dans l'esthétique et les timbres à la musique Ancienne trouve dans ce choix de mots et de voix une vraie légitimité, que Lasserre renforce en jouant parfois des timbales, dans une atmosphère soudain densifié par le recours à de nombreux dispositifs électroniques, conçus par Denis Cointe et Loïc Lachaize.
Le choix de Milton, et de ses paradis perdus, ne doit rien au hasard. On l'a déjà dit, il y a dans ce disque un éther, un sentiment de monde parallèle aux faibles lumière contrastées, à l'image de la gravure de la pochette et de sa Lune lycanthrope qui réveillent des démons. IIs sont tous cachés dans "Silence Pleased" où Cappozzo et Wodrascka offrent une colère soudaine comme une bulle qui éclate. Lasserre passe à la batterie : ce n'est pas une parenthèse, c'est une irruption. Une croisée des chemins qui replonge vite dans une route plus sombre, jusqu'à ce magique "Apparent Queen, Peerless Light" où la trompette luciférienne de Cappozzo, au sens où elle transcende la lumière s'offre quelques instants avec les tambours de Lasserrre, comme une clairière atteinte sous la lumière pâle de la Lune.
Un des disques les plus étonnants et enthousiasmants de l'année.